Littérature et diversité : que lire aux enfants ?


Lorsque les albums contre- stéréotypés, destinés à éveiller (leur) conscience, leur sont présentés trop tôt ; (les jeunes lecteurs) connaissent un « pic de rigidité » dans la construction de leur identité de genre. Les enfants ne sont pas en mesure d’accueillir positivement des propositions qui ne correspondent pas à leurs conceptions.

Si ces expérimentations se concluent par des constats réservés sur l’impact des stéréotypes de genre auprès des jeunes enfants, les derniers travaux des chercheurs en psychologie sociale fondés sur la lecture d’albums pour la jeunesse rappellent « tout l’intérêt de penser la relation enseignante/enseignant-élève dans le rapport aux stéréotypes-contre-stéréotypes de sexe de manière indissociable » (Devif et al., 2018 ; Reeb et al., 2018).

Stéréotypes et littérature de jeunesse, un article de Christiane Connan-Pintado publié dans la revue Hermès


Cette citation, comme l’ensemble de cet article, fait écho à ma propre pratique (autour des livres/albums pour les 0-6 ans). Très orienté sur la question du genre, l’article qui suit le sera aussi. N’étant pas concernée par la discrimination raciale ou le validisme, j’essaye néanmoins d’éduquer mes enfants à ces problématiques sociales. Si vous avez des livres / des actions à me proposer, n’hésitez pas à me les partager en commentaire.

Une éducation à la diversité au quotidien…

L’éducation contre les stéréotypes de genre est un démarche que nous faisons quotidiennement et dans tous les aspects de la vie. Nous essayons d’avoir un foyer exemplaire dans la répartition des tâches tout en expliquant aux enfants les enjeux derrière ce sujet. Nous leur expliquons que toutes les émotions sont valables et doivent être exprimés sainement. Ils nous voient jongler entre vie quotidienne et travail. Malgré mon statut d’étudiante, je tiens à donner de l’importance à ce statut. Je ne rapporte pas d’argent mais j’apprends et je travaille dur. Cela est valorisé au même titre que la profession de mon conjoint. Je leur explique de faire attention aux autres, surtout à celles et ceux qui osent moins. Par exemple, au parc, je lui demande de ne pas monopoliser les jeux, de laisser passer les enfants en retrait (souvent des petites filles qui se laissent piétiner dans les files d’attente du toboggan). Bref, c’est un travail quotidien et je trouve parfois les ouvrages sur le sujet un peu redondant.

Bien qu’attirée par la diversité dans la littérature jeunesse, je suis mal à l’aise avec l’aspect marketing de la démarche. Je ne doute pas de l’utilité de ces ouvrages comme support pour créer un dialogue ou comme représentation nécessaire dans les collectivités. Mais je trouve certains contenus fades, écrit un peu sous l’angle de la facilité : la princesse qui sauve le prince, le garçon sensible, etc. La littérature jeunesse vaut mieux que ça. Pour moi, un livre intéressant cumule une écriture poétique, de belles illustrations, une morale convenable et de la subtilité.

… qui normalise les différences…

Un de mes ouvrages préférés sur la question du genre est Julian au mariage. L’histoire est condensée dans le titre : il s’agit d’une journée de mariage racontée à travers le regard d’un enfant, Julian. Et pourtant, on voit des personnages noirs, âgés, dans une relation homosexuelle, redéfinissant leur expression de genre. Marisol joue dans la boue et Julian les déguise en fée…et c’est la réalité, totalement normale. J’apprécie que ces aspects importants de la diversité ne soient pas des sujets centraux mais soient intégrés dans l’histoire sans cliché, sans jugement de valeur. Cet album n’a que peu de mots et cela permet de laisser l’enfant se forger son opinion et d’échanger avec lui au détour de questions ouvertes. Et parfois certaines situations n’ont pas besoin d’être commentées. Pour Olive, le mariage de deux femmes n’est pas un sujet alors qu’il se demande tout le temps où sont les parents de Julian et Marisol.

Bref, je pense vraiment qu’il est important que la littérature jeunesse « engagée » dépasse le stade de la mise en valeur univoque pour normaliser les différences. Attention, je ne veux pas dire qu’il ne faut « pas voir les couleurs » En tant que professionnel-le de la littérature jeunesse ou parents, on doit chercher cette diversité mais il me semble important de sortir la représentation des (contre)clichés (la personne de couleur qui doit s’intégrer, la personne handicapée comme valeur de courage, etc.)

… et échoue parfois.

Malgré l’éducation que j’offre à mes enfants, je suis confrontée à certains blocages de leur part. Olive, 5 ans, est persuadé qu’une fille a les cheveux longs et un garçon les cheveux courts. Malgré des exemples variés au sein même de notre propre famille, il est incapable de sortir de ce schéma d’idées préconçues.

Pour la littérature jeunesse, c’est un peu pareil. Olive adore certains livres qui me « sortent par les trous de nez », le dernier en date étant les titres de Mini-Loup. Après un innocent Mini-Loup sur la banquise, j’ai cédé aux envies de mon fils en achetant un lot sur Vinted. Je me suis rendu compte que dans ces livres, on trouve des comportements :

  • sexistes :

    Mini-Loup et la galette des rois : papa loup est incapable de suivre une recette, c’est donc maman loup qui gère tout…sic.
  • grossophobes :

    Anicet est un cochon, gros et gourmand. Dans Mini-Loup à la piscine, le livre se moque de lui car son maillot de bain est trop grand, ce qui semble impossible vu qu’il est gros. On peut supposer qu’il a pris celui de son père. Dans Mini-Loup et la galette des rois, il est impatient quand la galette refroidit et dévore sa part en deux secondes (car oui les gros ne savent pas manger (tout cela est de l’ironie et me met évidemment hors de moi)). Dans Mini-Loup et la piscine, il est représenté comme trouillard / pas sportif avec une accumulation de bouée.
  • dangereux :

    Dans Mini-loup et le requin, les enfants partent seuls dormir une nuit à la plage. Dans Mini-Loup et la piscine, ils trouvent ça rigolo de faire tomber la maitresse et le maitre nageur dans l’eau.
  • méchants :

    Je trouve les réactions des personnages souvent méchantes et excessives. Dans Mini-Loup et la galette des rois, Mini-Loup s’énerve pour mettre la fève seul, se vante d’avoir fait le gâteau sans ses amis, se vante de son tablier. Dans ce même livre, il fait une blague que je trouve personnellement adorable. Il met des fèves pour que tous ses amis en aient une. Et là, au lieu d’être contents, les amis s’énervent, crient et cherchent la bagarre.

Cette liste a un effet cathartique énorme, car malgré mon aversion profonde qui va au-delà des thèmes présentés, j’ai décidé de les laisser dans la bibliothèque. Mon fils les A-DO-RE. Pour compenser, je ponctue ma lecture de « tu en penses quoi ? », « est-ce que Mini-Loup respecte les règles de base? (à la maison on synthétise en santé, sécurité, respect) », « qu’est)ce que tu ferais toi à sa place ? ». Je souffre en silence car je pense que mon fils sera bientôt confronté à des situations problématiques. Au lieu de censurer, j’essaye de lui donner des clés. Concernant la question du genre, je l’aborde plutôt dans les jeux de rôles mais comme il m’arrive de les renommer selon son souhait. Il m’arrive aussi de changer leur genre. Nous avons un livre dans lequel un personnage s’appelle Lou. Lors de sa lecture, nous décidons tous les deux si Lou est une fille ou un garçon. Cela permet de travailler les changements morphosyntaxiques avec lesquelles Olive est un peu difficulté dans son langage.

Mère le jour, étudiante en sciences du langage la nuit.
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